Je voulais vous parler d’un livre sublime qui m’accompagne depuis longtemps et qui a été fort heureusement réédité par La Musardine en 2012.
Promeneur nécropolitain, comme il aime à se définir, André Chabot nous présente ici une collection de 300 photos noir et blanc saisies dans nos cimetières à travers le monde.
Dans cette promenade,
ce n’est pas l’assouvissement qui est le véritable objet du désir, mais ce qui
l’aiguise et le nourrit, cette autre moitié du plaisir qui n’est pas l’amour
physique, cette exigence de l’imagination qui fit dire à Flaubert : « La
bêtise consiste à vouloir conclure ».
Ce livre explore la frontière fluide et poreuse entre l’érotisme et la religion, l’extase charnelle ou mystique, entre Éros et Thanatos.
Pas d’érotisme sans interdit depuis que « Le Christianisme a donné du poison à boire à Éros qui n’en est pas mort, mais a dégénéré en vice », constatait Nietzsche.
Outre la splendeur des statues photographiées, ce livre vaut par ce que nos tombes disent de nous, de notre rapport à la mort, à l’amour et au sacré lorsque nous choisissons d’être pleurés par des naïades en pierre soumises et dénudées, quand nous gravons dans le marbre éternel l’adoration d’un être disparu, quand nous dévoilons lors de nos dernières volontés notre mégalomanie ou notre homosexualité.
Le texte d’André Chabot, mêlant art et littérature, évoque tout ceci avec beaucoup de poésie.
N’est-ce pas comme une
pitié de la Mort ? Elle ruine tout, mais laisse intactes les chevelures… la tresse conservée de la morte n’avait
guère pâli, malgré le sel de tant de larmes.
On admirera bien sûr la femme omniprésente, femme passive, classique horizontale, femme sculptée par l’homme, belle extasiée sous toutes ses représentations plus ou moins biblique, brûlante sous le voile de sa dévotion, mais aussi de charmants garçons.
Here lies beneath these bricks
the scabbard of ten thousand pricks
Sans oublier de la figure de l’Ange, si pratique pour révéler la beauté des corps androgynes sans s’attirer les foudres de l’Église, car pendant des siècles, des artistes frustrés, interdit de réalité érotique, furent contraints par le puritanisme chrétien de faire émerger l’érotisme à travers les thèmes de la Bible.
Sa main laisse échapper
Une fleur qui se fane
Et ployée à son dos son aile diaphane
Reste sans mouvement
Quoiqu’il ait mis le pied
Dans tous les lits du monde
Difficile de ne pas s’émouvoir devant la langueur de ces baisers de pierre, équivoque étreinte des couples, d’autant plus frénétique qu'il s'agit de la dernière.
Ceux qui se sont aimés et qui se font inhumer l’un à côté de l’autre ne sont peut-être pas si fous. Peut-être leurs cendres se pressent, se mêlent et s’unissent… Ô ma Sophie ! Il me resterait donc un espoir de vous toucher, de vous sentir, de vous aimer, de nous unir, de me confondre avec vous quand nous en serons plus… laissez-moi cette chimère.
(Diderot, lettre à Sophie Vollant – 1759)
Ce livre est en vente à La Musardine et sur toutes les plateformes. Pour continuer le voyage, je vous invite à consulter le site de l’auteur : https://www.andrechabot.com/
A bientôt !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire